7 mai 25

Je ne soupçonnais même pas l’existence de ma profession

Rencontre avec Michaela Slotwinski, professeure en travail social à la Faculté des sciences économiques de l’UniNE

Michaela Slotwinski donnera sa leçon inaugurale le mercredi 14 mai à l’Université de Neuchâtel, sur la thématique des inégalités économiques et en particulier l’écart entre hommes et femmes en raison de la «child penality» ou «pénalité liée aux enfants». 

Michaela Slotwinski, pourquoi vous passionnez-vous pour les recherches sur les inégalités économiques?

Je pense qu’il est important de comprendre les causes profondes et les conséquences des disparités en matière de revenu, de patrimoine, d’opportunités, et par exemple de droits démocratiques. De telles inégalités peuvent affecter la cohésion sociale, la croissance économique, les résultats en matière de santé, et elles peuvent également être inefficaces d’un point de vue économique. En identifiant quels groupes sont défavorisés et pourquoi, la recherche peut aider à déterminer s’il est nécessaire de mettre en place des politiques correctrices. Si une telle intervention est jugée nécessaire, la recherche fournit également les données nécessaires pour concevoir des politiques plus équitables et plus efficaces, favorisant l’inclusion ainsi que la stabilité sociale et économique à long terme.

Quelle est l’actualité de votre thématique de recherche?

Actuellement, mes recherches portent principalement sur les décisions des femmes sur le marché du travail, en particulier celles des mères. Ce que l’on appelle la «pénalité liée aux enfants», c’est-à-dire un écart de revenus important et persistant entre les hommes et les femmes qui apparaît après la naissance du premier enfant, a été largement documentée et fait souvent l’objet de débats dans les médias. Cette inégalité est principalement due à une réduction de temps de travail des mères. Avec mes collègues, je poursuis un programme de recherche visant à mieux comprendre les facteurs qui influencent les décisions des mères concernant le volume de travail après la naissance d’un enfant, en mettant un accent particulier sur le rôle des perceptions erronées. Par exemple, certaines mères peuvent avoir des idées fausses sur les implications financières d’une réduction du temps de travail, ou des perceptions biaisées de la stabilité conjugale et des conséquences d’un divorce. Ces facteurs peuvent influencer de manière significative leurs décisions sur le marché du travail.

Comment vous y êtes-vous intéressée la première fois?

C’est au cours des dernières étapes de mon doctorat que j’ai découvert les travaux importants sur la pénalité liée aux enfants de Henrik Kleven et de ses co-auteurs, ainsi que les recherches de Claudia Goldin, lauréate du prix Nobel d’économie en 2023. Tous deux analysent le rôle de la maternité dans les inégalités de genre sur le marché du travail. Cela a éveillé ma curiosité pour ce sujet.

Que diriez-vous sur votre thématique de recherches que vous n’auriez pas dit il y a 5, 10, ou encore 20 ans?

C’est une question difficile, car mon domaine de recherche, qui porte sur les écarts entre les sexes et les décisions des familles en matière de participation au marché du travail, existait à peine dans l’économie dominante il y a vingt ans. Cependant, grâce à la reconnaissance de chercheuses comme Claudia Goldin, ce champ a gagné en visibilité et en légitimité. Aujourd’hui, je peux affirmer avec confiance que comprendre comment les familles prennent leurs décisions en matière de travail et de répartition des rôles est essentiel pour expliquer les écarts de genre persistants et identifier des moyens d’y remédier.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans le fait de transmettre l’objet de vos recherches à des étudiant-e-s?

J’enseigne la méthodologie de recherche quantitative appliquée et j’aime beaucoup aider les étudiant-e-s à développer leurs propres plans de recherche en fonction de leurs intérêts. Je m’appuie souvent sur mes projets récents pour illustrer des points clés et partager des perspectives qu’elles et ils peuvent utiliser pour contribuer de façon significative à des débats à la fois académiques et aussi politiques. 

Enfant, quel métier rêviez-vous de pratiquer un jour?

Mes aspirations ont beaucoup évolué au fil du temps. À un moment donné, je voulais devenir hôtesse de l’air pour voyager à travers le monde, ce qui m’a amenée à suivre une formation de spécialiste en hôtellerie après l’école. J’ai rapidement compris que ce n’était pas une voie que je voulais poursuivre à long terme et je suis retournée aux études. Une série de coïncidences heureuses m’a ensuite conduite à étudier l’économie et les méthodes quantitatives, puis à entreprendre un doctorat sous la direction d’un superviseur qui considérait l’économie comme une science sociale. Cela m’a ouvert un large éventail de thématiques et a éveillé ma passion pour une profession dont je ne soupçonnais même pas l’existence lorsque j’étais enfant.

Un livre lu dans l’enfance ou l’adolescence et qui a participé à vous construire en tant que personne ?

Un livre qui m’a profondément marquée en tant que jeune femme est Effi Briest, de Theodor Fontane. Je me souviens avoir été frappée par la manière subtile mais puissante dont Fontane décrivait les contraintes sociales imposées aux femmes et les conséquences qu’entraîne le fait de défier les attentes de la société. Je garde en mémoire l’histoire d’Effi, non seulement en raison de sa tragédie personnelle, mais aussi parce qu’elle m’a ouvert les yeux sur la façon dont les normes sociales et les rôles de genre peuvent façonner les vies de manière silencieuse mais profonde. En le lisant en tant que jeune femme, cela m’a poussée à réfléchir à l’autonomie, au jugement, et à l’importance d’avoir la liberté de tracer son propre chemin. Ce roman a aussi semé les premières graines de ma curiosité pour l’intersection entre les structures sociales et les choix individuels. Ce sont des questions que je continue d’explorer dans mes recherches aujourd’hui.

Les genres musicaux, les artistes qui vous accompagnent en général? 

Cela dépend vraiment de mon humeur. Parfois, j’écoute de la musique classique pour piano, d’autres fois c’est de l’indie, du hip-hop, ou même de la trance.

Le souvenir d’un moment particulièrement fort vécu dans le cadre universitaire, en tant qu’étudiante ou en tant que professeure?

Il y a eu de nombreux moments dont j’ai tiré des enseignements, mais l’un de ceux dont je me souviens particulièrement bien est la première fois où j’ai présenté mes recherches en tant que doctorante et reçu des retours très francs et critiques. Ce fut une expérience à la fois humiliante et formatrice. J’ai compris que tout le monde ne partagerait pas forcément mon enthousiasme pour mon sujet de recherche et que c’était à moi d’être claire, convaincante, et de transmettre ma passion d’une manière qui résonne chez les autres, tout en apprenant à ne pas surestimer l’opinion d’une seule personne.

 

Interview UniNE 2025
Réalisation: Julie Mégevand
Crédit photo: Marcel Giebisch/BSV

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Biographies

Slotwinski Michaela

Travail social / Social Work

Événements

14 mai 25

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